Merci patron [mèrsi patrô]

Fig. A. Ouvriers heureux au travail chantant leur bonheur. Musée du BIT.

[mèrsi patrô] (exclam. CHANS.)

C‘était avant le management, c’était avant les Power Point™, c’était avant les stages de team building, c’était avant les open spaces vicieux contrôleurs des intimités. C’était au temps des établissements des Magasins Réunis, des Maisons Bernard&fils ou du garage Gaudin.

Le plébéien, rendant grâce à l’autorité supérieure chantait alors gaiement et à tue-tête :

🎶Merci patron merci patron
Quel plaisir de travailler pour vous
On est heureux comme des fous
🎶Merci patron merci patron
Ce que vous faites ici bas
Un jour Dieu vous le rendra

Qu’il était reconnaissant l’OS de Billancourt; qu’il vénérait son chef l’arpette des filatures de Demangevelle; qu’il se montrait révérencieux le manœuvre des chantiers de Saint Nazaire, reprenant ce Merci patron à la gloire du tout puissant séculier multipliant les petits pains pour qu’il puisse nourrir sa famille, lui le modeste.

Enfin c’est ce que l’on croyait…

Car, quand sur des paroles subversives de Gérard Rinaldi et Luis Régo, la France de 1972 entonne en chœur Merci patron avec Les Charlots, acteurs majeurs de la contestation parodique et de l’esprit potache, nul ne semble s’apercevoir que ces rigolos mal coiffés, tantôt bidasses en folie objecteurs de conscience, tantôt fous du stade bâtis comme des ablettes, sont en train de créer un chant plus contestataire que Le Temps des cerises de Jean-Baptiste Clément ou le bravache Hexagone de Renaud.

Avec leur Merci patron, ces dilettantes qui avaient déjà commis une reprise du fameux On n’est pas là pour se faire engueuler de Boris Vian, mettent à bas des siècles d’organisation du travail patiemment construite depuis que l’homme bâtit des pyramides et qu’il faut bien qu’il y en ait un qui pousse les gros blocs de pierre. Et en plus ils le font en chanson !

C’est en trop. Merci patron ne pouvait évidemment survivre dans la start-up nation.

Trop polie pour être honnête, la chanson deviendra surannée mais ouvrira la porte à la très sympathique Fête des secrétaires et assistantes, le troisième jeudi d’avril¹, nettement plus conforme à cette notion moderne de bonheur au travail, unique moyen de dire chaque jour : Merci patron, quel plaisir de travailler pour vous, etc.

¹Authentique.

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