Prendre une avoinée (se) [prâdr yn avwané]

Prendre une avoinée (se)

Fig. A. « La prise de l’avoinée », artiste anonyme, mai 1968.

[prâdr yn avwané] (loc. verb. ADADA.)

La propension de la langue à transcrire en expressions culinaires peut entraîner la nausée. Mais le français suranné ne saurait échapper à la culture dans laquelle il mijote, aussi l’accompagnerons-nous en cuisine pour la définition que voici.

NB : attention, cette notice contient des violences faites aux animaux et aux étudiants.

En ces années lointaines, comme le pavé résonnait des grincements des quatre premières roues des carrosses et des claquements de sabots de braves Rossinante les tractant, naissait l’expression prendre une avoinée. C’est en effet aux cochers et à leur fouet claquant sec qu’on la doit, celle-ci synthétisant la bonne vieille méthode consistant à faire avancer le bourrin en lui faisant goûter de l’avoine d’une main et en le flagellant de l’autre¹.

Ce cuir cinglant laissera des cicatrices sur l’arrière-train équin, et s’inscrira dans la grande tradition du leg d’expressions équestres à la langue, telles ne pas casser la patte à Coco, écrire une lettre à cheval, faire boiter le cheval, et bien d’autres…

Prendre une avoinée deviendra rapidement l’expression décrivant une très sévère admonestation tout en demeurant soumis à l’autorité courroucée, sans possibilité de réponse et encore moins de rébellion. Le déférent devenant alors un peu comme le cheval, soi-disant plus belle conquête de l’homme mais surtout animal asservi en charge de cavaler le dimanche à Vincennes avec des nabots colorés sur le dos, ou de déambuler dans les allées du Luco avec d’autres nabots attachés sur l’échine².

Ce ne sont pas l’apparition de la traction mécanique et le remplacement du cheval comestible par le cheval vapeur, qui feront disparaître prendre une avoinée. Bien au contraire, les années précédant l’agitation frénétique qui mettra le boulevard Saint-Michel et les amphithéâtres de Nanterre et de la Sorbonne sans dessus-dessous, s’avéreront propices à des rapports d’autorité usant à satiété de la prise d’avoinées.

Exemple : « les Français sont des veaux », Charles de Gaulle.

Ruant dans les brancards, Dany le Rouge ira jusqu’à se moquer ouvertement d’un représentant des Compagnies Républicaines de Sécurité dans un sourire narquois immortalisé ce 6 mai 1968 par Gilles Caron, qui, sans le savoir, rendra dès lors surannée l’expression prendre une avoinée.

Après l’outrage ainsi jeté au visage de la toute-puissance, plus aucune avoinée ne pourra être prise au sérieux. Le moderne ira encore plus loin en interdisant la fessée, dérive physique de l’avoinée, ce dont quasiment personne ne se plaindra, mais ceci est une toute autre histoire.

¹Reprise ultérieurement par le management en entreprise, mais ceci est une autre histoire.
²J’en fus. Je sais de quoi je cause.

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