Cinq et trois font huit [sêk é trwa fô ÿit]

Cinq et trois font huit

Fig. D. Diable boiteux.

[sêk é trwa fô ÿit] (addit. MATH.)

L‘apprentissage systématique des tables d’addition puis de multiplication et leur récitation à voix haute firent des enfants des années surannées de véritables machines à calculer, et par conséquence de la montre-calculatrice un gadget peu pratique qui ne rencontrera pas vraiment son public (mais ceci est une autre histoire).

La codification par le chiffre apparut donc comme légitime pour une langue affable cherchant souvent à ménager le faible et à protéger la veuve et l’orphelin.

Aussi lorsqu’il s’agit de trouver un autre nom que boiteux pour nommer le claudiquant, le langage suranné alla-t-il y piocher.

Cinq et trois font huit est une addition. Une addition de mesures, une addition de temps, une addition de pas, de pieds, d’orteils peut-être (cinq d’un côté, trois de l’autre), toujours est-il que cinq et trois font huit cache derrière sa somme le synonyme du banban à la démarche mal assurée.

Tout un chacun notera aisément cette dissymétrie des deux grandeurs numériques, pudique indication de celle des deux membres inférieurs du concerné par l’addition. Si quatre et quatre font huit également, l’effet n’est plus le même, convenons-en, bien que la réunion soit au finale similaire. On y lira la grande tolérance face à la différence d’une langue qui ne pointera jamais du doigt celui qu’elle désigne¹ : l’essentiel est bien que le tout fasse huit, qu’il s’obtienne en quatre à quatre ou en cinq et trois.

Charles II d’Anjou dit le Boiteux, roi de Naples et comte de Provence, d’Anjou et du Maine, ne pouvait, du fait de son deuxième rang, être nommé Charles cinq et trois font huit. Malgré ses demandes renouvelées, Charles II V et III font VIII fut en effet refusé par Johannes Campanus de Novar, brillant mathématicien du XIIIᵉ siècle, au prétexte que son travail précurseur sur l’arithmétique risquait d’en pâtir. On ne pourra totalement le blâmer puisque II+V+III=VIII aurait remis en cause nombre de théories patiemment élaborée depuis Euclide.

Dionysos était un cinq et trois font huit (les excès et un problème de goutte très certainement), Héphaïstos, fils d’Héra, balancé par sa mère au bas du mont Olympe était un cinq et trois font huit, et il pourrait s’avérer que le Diable lui-même soit affublé de ce calcul facile à faire, preuve s’il en faut que boiter n’empêche nullement d’avancer dans la vie.

Une soudaine désaffection moderne envoya cinq et trois font huit au suranné. Addition, multiplication, soustraction et division rendues aisées par l’invention de la Sanyo CZ-8127 et autres machines calculatrices électroniques à affichage fluorescent verdâtre, avaient pris le dessus sur l’effort de mémoire et de calcul mental. Cinq et trois ne firent plus huit avant que l’écran lumineux ne l’ait confirmé d’un 5+3=8.

Le chiffre venait de vaincre la lettre.

¹On ne montre jamais du doigt c’est impoli. Autre principe désormais suranné.

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