Ne pas valoir tripette [ne pa valwar tripèt]

Fig. A. Guillaume le Conquérant s’apprêtant à manger des tripes à la mode de Caen.

[ne pa valwar tripèt] (loc. verb. PHILO.)

L‘homme est la mesure de toutes choses, nous enseigna Protagoras, maître sophiste, au Vᵉ siècle avant JC.

Il n’est guère nécessaire de pousser loin l’étude pour imaginer que l’expression que nous allons déguster n’est pas issue de sa pensée : si elle donne la mesure, elle aussi, elle le fait avec la panse, le feuillet, le bonnet et la caillette, soit les quatre parties de l’estomac d’un ruminant, et avec un pied de bœuf en sus.

Les gourmets l’auront de suite remarqué, c’est avec ces ingrédients et un vrai savoir-faire que l’on concocte les tripes à la mode de Caen, véritables étalon négatif de la valeur de toute chose lorsqu’elle est dite ne pas valoir tripette.

Ne pas valoir tripette s’impose dans la détermination du très peu, du tout petit, du très médiocre, suite à l’invention des tripes à la mode de Caen par un moine de l’abbaye aux Hommes (de Caen). Il se murmure dans les milieux autorisés que c’est le très Normand Guillaume le Conquérant qui lança, un jour qu’il était rassasié par son met préféré, l’idée de dénigrer ce qui ne valait rien en déclarant que ça ne valait pas tripette.

Le roi d’Angleterre (1066-1087) et duc de Normandie (1035-1087) s’y connaissait bien en tripes, tant pour les avoir fait jaillir des entrailles de ses ennemis sur les champs de batailles que pour les déguster à la mode de chez lui chaque fois qu’il le pouvait. On peut donc consacrer ne pas valoir tripette comme une mesure experte et non une élucubration.

La langue servant tout autant à parler qu’à goûter, elle colporta tranquillement ne pas valoir tripette depuis ce onzième siècle agité jusqu’au milieu du XXᵉ tout autant excité. Ne pas valoir tripette se trouvera même renforcée au XVIIᵉ quand s’épanouit triper comme synonyme de mépriser. Ce même triper connaîtra un trou d’air avec la propagation du diéthylamide de l’acide lysergique (LSD) et de ses bienfaits dont ont dira alors qu’ils font triper, en référence cette fois au voyage réalisé par ses adeptes¹, mais ceci est une autre histoire.

Un désappointement progressif pour les abats et la concurrence avec d’autres expressions surannées telles que ne pas valoir un pet de lapin ou valoir son pesant de cacahuètes, couplé à la disparition une à une des boucheries-charcuteries de quartier, renvoya ne pas valoir tripette dans sa cellule de l’abbaye de Caen.

Le petit commerce et le langage suranné tirèrent conjointement le rideau sur leur spécialité, remplacés et l’un et l’autre par des concept-store et des mesures anglicisées², bref, des formes modernes qui ne valent pas tripette.

¹To trip : voyager (en anglais).
²Le like par exemple, le up et le down.

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