Aller aux congres sans crochet [alé o kôɡre sâ kròSè]

Fig. O. Parisien à la pêche aux congres. Allégorie. Musée de Cancale.

[alé o kôɡre sâ kròSè] (exp. pêch. BZH)

Grand ami de la faune en laquelle il trouve inspiration, le langage suranné fait appel à l’animalité tant pour ses phonèmes que pour ses représentants, les affublant de qualités ou de défauts, de vices ou de vertus qui ne sont en réalité que cruellement humaines.

Ainsi quand il y a anguille sous roche c’est qu’il y a un loup, et quand on se fait payer en monnaie de singe on est pris pour une buse.

Mais il est des cas où le rapport s’inverse, prenant la bestiole à parti pour faire de l’homme un abêti : partons dans ces lignes à la pêche avec aller aux congres sans crochet.

Anguille de mer vivant dans le creux des rochers (celle-la même de l’anguille sous roche susnommée), le congre est un poisson précautionneux qui possède l’art de se dissimuler. On comprend sa prudence car avec ses deux mètres et sa centaine de kilogrammes il promène une chair grasse appréciée en cuisine et il aurait tôt fait de finir persillé s’il n’y prenait pas garde.

Compliqué à attraper comme tous les congridés, il se traque à la perche terminée d’un crochet, seul outil capable d’aller le chercher dans sa cachette. De fait, aller aux congres sans crochet est une entreprise vouée à un échec programmé.

Si l’on trouvera sans problème une origine marine à aller aux congres sans crochet, la géographie des appellations non contrôlées fait vite perdre la boussole au plus retors des pêcheurs comme au plus perspicace des chercheurs. Car le congre est dit fouet à Fécamp (et nul n’a jamais ouï aller aux fouets sans crochet dans ce port morutier), cougrette à Cancale (et là non plus, pas d’aller aux cougrettes sans crochet là où l’on élève plutôt l’huître plate), mourna-grounch à Nice (où l’on préfère la salade et là encore nul besoin de crochet). Bref aucun des ports de notre littoral n’use d’aller aux congres sans crochet, un peu comme si l’on tenait là une expression pour Parisien en goguette, chassant le Dahu en montagne l’hiver et allant aux congres sans crochet l’été.

N’aurait donc t-elle été pensée que pour tancer le béotien voulant créer sans même remplir une demande en formulaire, et pour mater ce prétentieux qui pensait réussir avec sa seule envie ?

Le choc de simplification minutieusement élaboré par des stratèges en administration eut raison d’aller aux congres sans crochet, vouée à une évidente obsolescence face à la puissance des idées exposées. Désormais, « les projets de simplification seront conduits par des équipes interministérielles et pluridisciplinaires, continuant d’associer à la définition des besoins et des solutions les administrations centrales et déconcentrées, les entreprises, les collectivités territoriales et les usagers »¹.

Avec cette ambition, la France devrait rapidement quitter le 121ᵉ rang mondial sur 144 en termes de fardeau administratif² et permettre ainsi à ses forces vives de ne plus aller aux congres sans crochet puisque l’expression était avant tout réservée aux affaires, l’artisanat se contentant de faire avec la bite et le couteau.

 

¹Authentique. Ça a l’air simple, non ?
²Classement Global Competitiveness Report (2014-2015) du Forum économique mondial.

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